Chamans 2024: Semaine 4
Jour 22: Chevauchée sauvage.
« Le rendez-vous est donné à 8h30 pour le café. Soumeh et Niemdeva sont partis dès 6h30 pour déposer les chevaux de bats chez eux. Jiji est encore couché, il a veillé tard sans compter sur la vodka ingérée durant la soirée.
Soumeh nous retrouve en voiture à notre bivouac vers midi. Nous chargeons l’équipement dans le véhicule. Valtika, le fils de 22 ans, est au volant et Alexandre D. est passager. Nous allons avec le reste de l’équipe, accompagné de Jiji et Soumeh, chevaucher dans la steppe en direction de la ferme des éleveurs. Ils habitent de l’autre côté du lac, soit à environ 700m, mais nous devons contourner le lac sur environ 20km.
C’est la première fois que nous montons à cheval sans sac à dos. Nous sommes prévenus, il y aura essentiellement du trot et du galop. Nous partons au trot pour commencer en contournant une grande colline. Le ton est lancé. Ma main est toujours gonflée alors je tiens les rennes de la main gauche.
Au plus près du lac, au pas, nous sommes envahis par des milliers de moucherons qui dansent au dessus de nos têtes. Le temps d’abreuver nos chevaux, nous repartons au trot, le rythme est soutenu et demande de la concentration. Au bout de 40min et 10km plus tard, nous faisons une pause le temps de nous hydrater et de reposer les chevaux. Nous sommes rejoints par Valtika et Alexandre D.
Au bout de 10 minutes, Soumeh prend le volant et Valtika son cheval. Du trot nous passons au galop, à notre gauche le lac. Le vent se lève, le sable s’échappe à chaque foulée de cheval, cela donne un air de western qui dure quelques minutes.
Valtika, derrière moi décide de partir au galop, emballant mon cheval au passage qui décide de partir au triple galop. Je tire fort sur les rennes pour calmer ses ardeurs. Jiji me dit que mon cheval était un ancien cheval de course, tout s’explique…
L’orage s’invite alors et le vent est de plus en plus fort. Une pluie fine recouvre la steppe et nous rafraichi au passage.
Nous ne sommes plus très loin et nos chevaux le savent. Ils hennissent à plusieurs reprises. Nous approchons de la ferme au pas, tranquillement. Alexandre D. nous attend et nous sommes heureux d’être arrivés au bout de 2h et 19 km. »
Jour 22, suite: Arrivés à la ferme.
« Nous entrons dans la maison de Soumeh et Niemdeva. Une seule pièce d’environ 36m2. Sur le mur côté droit, un meuble de cuisine en bois, un petit frigo et un lit. Sur le côté gauche, un meuble pour quelques vêtements, des affaires, un siège de voiture et un autre lit. Sur le mur face à l’entrée, deux meubles bas. Au-dessus, des photos de famille encadrées, une machine de couture sous son emballage en bois, un meuble TV.
Nous entrons tous et nous nous installons au fond autour d’une petite table en bois. Soumeh nous a préparé des pommes, des clémentines, une assiette de charcuterie (bœuf au gras de porc) et du thé au lait chaud. L’hospitalité mongole n’est plus à démontrer. En plus de toute l’équipe, Jiji, Soumeh, Niemdeva et Valtika, 2 jeunes enfants, les neveux de Soumeh sont présents.
Peu après, on nous sert dans une grande casserole des abats de mouton bouillie. Des intestins, du cœur, du foie, du boudin et j’en passe. Le tout servi à même le sol et nous mangeons autour du plat commun. Le cœur, le foie et le boudin sont de véritables délices.
Ce plat est une façon de nous recevoir « comme des rois » dans cette demeure simple et austère. Après cet excellent repas, nous installons notre bivouac au nord de leur maison dans le terrain clôturé. Ils doivent avoir environ 80 chevaux, une centaine de moutons, quelques vaches et veaux.
Nous sommes situés à un peu plus d’un kilomètre du lac. Après avoir installé nos tentes, chacun s’occupe. Valtika joue au basket avec Jiji sur une structure en bois mais avec un véritable panier. Fabien et Sebastian les rejoignent pendant qu’Alexandre filme le tout. Une journée simple.
Nous sommes appelés pour le dîner autour de 21h40. Des pâtes faites main par Soumeh, des pommes de terre, carottes et un peu de viande de mouton. Ce bon dîner clôture parfaitement cette merveilleuse journée. »
Jour 23: La vie chez les éleveurs.
« Le rythme est différent et le réveil naturel. Après nous être rassemblés dans la maison de Soumeh et Niemdeva, le temps d’un café, l’activité matinale commence par la tonte des moutons. La laine s’enlève facilement en tirant dessus puis aux ciseaux. Ils ont une centaine de moutons. À savoir que la laine d’un seul mouton est vendu environ 600 tugrik, soit 0.16€.
Soumeh et Niemdeva nous ont concocté un plat de fête : des abats de moutons servis dans une grande gamelle qu’on mange à même le sol. Personnellement, j’ai préféré le cœur, le boudin noir et surtout le foie : un vrai délice.
L’après-midi, nous allons tous au lac situé à 2 km, d’une part pour faire le plein d’eau, d’autre part pour faire quelques lessives et nous laver.
En fin de journée, nous allons assister à la castration de 4 chevaux. Il est impératif qu’il n’y ait que 2 ou 3 étalons maximum dans leur élevage de 80 chevaux. La castration se fait à l’ancienne. Après avoir récupéré un étalon au lasso, il est entravé et posé sur le dos. La tête posée sur une sorte de coussin. Soumeh, Niemdeva, leurs 2 fils et Jiji sont habillés en tenue traditionnelle. Une longue lame est en train de chauffer dans un tas de crottin alimenté par une sorte de chalumeau.
Après avoir retiré les testicules, la peau est coincée par une pince à clamper improvisée et le tout est cautérisé par la longue lame. Une fois la zone lavée et vérifiée, ils enlèvent les entraves, le cheval se relève et au moment de partir au galop, Soumeh et Jiji jettent les étriers et longes sous ses sabots pour lui souhaiter longévité et force. Cette opération se renouvellera 3 fois. Le plus jeune des fils, Valtika fera sa première castration. Nul jugement sur ces pratiques ancestrales dans le pays du cheval.
Entre temps, une pluie fine s’est invitée. Nous participons tous sauf Alexandre B, qui ne supporte pas qu’on fasse cela à un cheval.
Nous nous retrouvons tous dans la maison pour fêter l’événement, qui a lieu en moyenne une fois par an, honorés d’avoir pu y prendre part. »
Jour 24: Réapprovisionnement et moment de partage.
« Un passage au village est prévu pour acheter ce qu’il nous manque, dont de l’essence. Le temps n’est pas au RDV et Alexandre D. a besoin de recharger les batteries de ses appareils : caméra et powerbank. Une fois les appros réalisés par Alexandre B, Sébastian, Gwen et Valtika, nous faisons le plein du petit groupe électrogène qui va nous permettre de recharger les différentes batteries.
Pour le dîner, nous mangeons une partie du mouton cuite dans une casserole avec des pierres préalablement chauffées. Une fois la cuisson terminée, Jiji donne une pierre à chacun pour qu’elle refroidisse entre nos mains afin de nous donner de la force.
La viande est servie avec quelques oignons, pommes de terre et cornichons sur un seul plat métallique. C’est délicieux et personne ne demande son reste, le plat est vidé rapidement.
Après ce dîner de fête, Niemdeva ouvre une belle bouteille dorée de vodka de la marque CHINGGIS Gold. Chacun est servi. Il nous fait un discours pour nous remercier du fond du cœur d’être venu d’aussi loin pour passer quelques jours dans sa modeste maison.
Après avoir trinqué, chacun raconte son meilleur souvenir depuis le début de notre expédition à cheval.
Après avoir passé un merveilleux moment avec tout le monde, je retrouve ma tente. La vie est simple ici. Ce sont souvent ceux qui en ont le moins qui sont les plus généreux.
Nous avons à mon sens perdu la notion d’hospitalité qui ici est normale et naturelle. Avoir peu ne signifie pas manquer de tout. Par moment je me demande qui d’eux ou nous sommes réellement les plus heureux ? Ils vivent de l’essentiel sans avoir besoin de cumuler du matériel alors qu’en occident, les gens ont besoin d’une belle voiture, d’un téléphone dernier cri, de vêtements de marque pour généralement combler un vide intérieur. Tout est là, il suffit de savoir regarder et écouter.
Il pleut et il y a beaucoup de vent. Si le temps est mauvais, nous ne partirons qu’après-demain. »
Jour 25: Marche solitaire.
« Nous reprenons la route aujourd’hui et allons en direction de Renchinlkhümbe. Après notre café, nous rassemblons nos équipements. D’un côté, une partie de l’équipe qui est à cheval, de l’autre Alexandre D. et Niemdeva qui partent en camionnette avec tous les équipements à l’intérieur. Pour ma part, j’ai décidé de marcher avec mon sac de 20kg car j’ai le besoin d’être seul en plus de celui d’éprouver le poids du sac pour le trek à venir.
Le temps de charger, je pars vers 11h30. Le reste du groupe partira une heure plus tard. Les chevaux, en liberté du matin au soir, sont revigorés. Ils ont eu le temps de se reposer, de manger et de s’abreuver à volonté.
Je commence mes premiers kilomètres et cela fait un bien fou. Cette sensation de liberté n’a pas de prix. Chaque pas efface mes pensées parasites, seul l’instant présent domine. Je pense furtivement à mon quotidien et je me rends compte au combien nous nous prenons souvent la tête pour pas grand-chose. Quand nous savons que nous ne sommes qu’une poussière dans ce monde, alors pourquoi ne pas vivre pleinement comme nous le souhaitons et non tel que les autres aimeraient que nous soyons ? L’effort et le dénivelé, même difficile, font beaucoup de bien au corps et à l’esprit.
J’adore le groupe que nous formons et je vous avoue être fier d’avoir mené à bien ce projet. S’il y a bien une chose que j’ai comprise, c’est que 5% de réponses ont suffit pour me lancer dans ce projet et que les 95% restantes sont venues par l’action. À travers ces paysages, je prends le temps de m’asseoir face aux nombreux lacs pour simplement observer le monde. Il suffit de tendre l’oreille pour apprécier le silence. Seul le vent, vient me murmurer à l’oreille. Ce son qui rappel que la vie mérite d’être vécue.
Alexandre et Fabien, m’envoient leur position exacte, je n’avais qu’une estimation. Je retrouve le groupe au bout de 06h30 et 25 km.
Demain, nous avons rendez-vous avec une personne particulière. Je ne sais pas encore ce que nous allons vivre, mais je vous le raconterai prochainement.
Après un bon dîner et une douche fraîche à la rivière, je profite de la soirée encore ensoleillée avant de rejoindre ma tente pour un sommeil réparateur. »
Jour 26: Entre tensions et solitude.
« Hier, à l’arrivée de ma marche de 25 km, un bon dîner nous attendait. Juste après, j’installe mon bivouac au bord de la rivière entre la tente d’Alexandre et Sebastian. Au loin, les deux m’interpellent, mais avec de la musique aux oreilles, je n’entends rien. À la fin de l’installation, je me retourne et je vois que Sebastian a déplacé sa tente. Après m’être lavé à la rivière, je ne tarde pas à rejoindre les bras de Morphée.
Le lendemain, le réveil est paisible. Je rejoins une partie du groupe autour du feu pour boire mon café. Peu après, Sébastian arrive et salue tout le monde, sauf moi. Je n’en fais pas ombrage et continue de discuter avec Fabien. Alexandre D. veut l’interviewer, mais il refuse, car il est en colère contre le groupe, contre le monde. Cette colère n’étant pas la mienne et ne souhaitant pas non plus l’alimenter, je préfère reprendre ma marche en solitaire.
Une partie du groupe part à cheval, l’équipement chargé dans la camionnette avec Niemdeva et Alexandre D. Je pars après les cavaliers. Après une première partie de parcours de 13km, je reçois la position du futur bivouac de la part de Fabien et Alexandre. Je me dirige donc dans leur direction. Je croise de nombreux animaux mais également un homme politique avec sa délégation allant à la rencontre des habitants. Je suis à 1.4km du bivouac mais du mauvais côté d’une rivière profonde. J’appelle Jiji pour qu’on vienne me récupérer. 1h plus tard un local en moto me propose de m’emmener, c’est parti pour 3km sur les pistes. Arrivée au début du lac, il tombe en panne. Je reprends donc ma route. Mon GPS fait des siennes et m’emmène dans la mauvaise direction. Je contourne à nouveau la rivière pour être sur le bon chemin et j’arrive enfin au bivouac après 29 km de marche.
J’installe ma tente loin du groupe pour éviter la déconvenue de la veille. Je vais au bord de la rivière pour remplir gourde et camelbag. Je me lave ainsi que mes affaires et remonte vers la tente. Alexandre D. m’apporte une assiette, mais je n’ai pas faim. Je rejoins le groupe pour prendre les consignes car demain nous allons rencontrer un sorcier réputé situé à 1km de notre position.
À l’issue, je repars vers ma tente pour y retrouver mon duvet. C’est la pleine lune, je ne pense pas beaucoup dormir. »
Jour 27: Le sorcier.
« Le rendez-vous est donné à 6h30. Levé à 5h45, je me prépare un café. Je suis rejoint par Fabien puis Alexandre. Une fois l’équipe réunie, nous nous dirigeons vers la maison d’un sorcier situé à 1km de notre bivouac.
Arrivés sur zone, nous attendons dehors les consignes de Jiji. Nous avions emporté avec nous une omoplate de mouton donnée par Soumeh lorsque nous étions chez elle. Nous entrons et ressortons chacun notre tour. Une fois le mien arrivé, j’entre et je donne l’omoplate avec un billet de 20.000 tugrik (5.40€) par-dessus.
Il me demande ma date de naissance, afin de connaître mon signe astrologique chinois (Dragon). Il sent et souffle dans l’omoplate avant de la mettre au feu. Je sors, il continue avec Fabien. Fabien sort, je suis à nouveau invité à entrer. Il récupère l’omoplate ainsi brûlée pour m’en faire l’interprétation. Ma « colonne de vie » est très bonne, je réussis dans mes projets. Famille et argent, aucun problème. Il n’y a pas grand-chose à dire, tout va bien pour moi. Je sors.
Pendant ce temps, Alexandre B est en pleine réflexion, il ne souhaite pas faire le trek après notre expédition à cheval. Nous repartons en direction du bivouac pour rassembler nos affaires et chevaucher vers Renchinlkhümbe. Sébastian a besoin de s’isoler à l’aide de son casque et de la musique. D’un côté Niemdeva et Alexandre en camionnette, de l’autre le reste de l’équipe à cheval.
Quelques kilomètres plus tard et après un fort dénivelé, nous pouvons apercevoir le village pourtant situé à 18km. Nous arrivons à une rivière et en profitons pour faire une pause. Nous nous rafraîchissons car il fait très chaud. Nous repartons, la cadence est soutenue. Une fois arrivé, nous nous dirigeons au sud de ce village de 4000 âmes. Nous entrons dans une cour, l’autre maison de Soumeh et Niemdeva, afin d’y installer nos bivouacs juste avant d’aller au village pour acheter ce dont nous avons besoin. Je trouve enfin du « Labello » pour mes lèvres qui ont souffert depuis le début.
L’orage et la pluie s’invitent et l’air se rafraîchit, cela fait un bien fou.
À 19h, nous allons dans une gargote, invités par Jiji. Au menu : des galettes fourrées de viande fraîche de Yak. Une fois nos panses bien remplies, nous repartons tranquillement vers notre bivouac. »
Jour 28: Le bonheur des choses simples.
« Le temps est couvert, l’air frais. Nous nous réveillons un peu avant 8h, le bonheur d’une grasse matinée. L’équipe se rassemble près de ma tente et nous prenons le café sur des rondins de bois en guise de chaise. Tout le monde a l’air bien.
Aujourd’hui, c’est une journée off et nous allons avoir le bonheur de prendre une douche dans des locaux appartenant à la gargote dans laquelle nous avons dîné hier. Ce qui semble évident chez nous est un luxe ici. En effet, de toutes les habitations croisées ci et là, il n’y a pas d’eau courante et rarement de l’électricité. Lorsque vous devez aller aux toilettes, soit vous vous rendez dans les bois, soit il y a parfois une cabine avec quelques planches pour y poser ses pieds et une immense fosse où on peut apercevoir ce que vous savez.
Nous sommes répartis en deux groupes car il n’y a que 4 cabines de douche. Alexandre D, Fabien et moi allons en premier. L’eau est limitée et chauffée via un système alimenté au feu de bois. Quel plaisir de sentir de l’eau chaude sur nos corps, le bonheur, c’est aussi ça ! Pour ma part, une douche chaude, au bout de 3 semaines est la limite à ne pas franchir. Après ce moment extrêmement agréable, le reste de l’équipe prend la relève et nous nous rendons au village avant de rentrer à notre bivouac.
Près des douches, il y a des Guesthouse avec de vrais lits. Gwen et Sébastian décident de louer une chambre. Pourquoi pas ? Cette aventure est aussi une aventure individuelle où chacun doit trouver ce dont il a besoin.
Ici, il y a matière à réfléchir. Quand vous n’êtes pas satisfait de l’endroit où vous êtes, dites-vous qu’un sans-abri serait heureux d’avoir un toit. Quand la nourriture n’est pas bonne, dites-vous que ceux qui meurent de faim se régaleraient. Si vous vous plaignez de votre santé, dites-vous que celui qui est en phase terminale prendrait bien votre place. On a le luxe du choix et pourtant nous ne sommes pas satisfaits. Pour ma part, cette sensation de liberté dépouillée du superflu fait un bien fou.
En attendant ma main est complètement dégonflée, mon annulaire quant à lui n’est pas entièrement rétabli mais ça va mieux.
Demain, nous quitterons le village en direction du Sud/Sud-Est à travers les montagnes. »